Formes du trouble
Se déployant dans des productions allant de la peinture à la
vidéo, en passant par le dessin ou la photographie et ses montages, l’apposition
du monde sauvage et des constructions humaines est au cœur du travail de
Pascale Bosc, où la pure sauvagerie ne se débusque pas toujours où l’on croit.
Ainsi peint-elle des animaux préhistoriques campés devant un
bâtiment inspiré du Ministère des routes de Géorgie, dans l’un des derniers
diptyques de cette série consacrée à l’étrange juxtaposition de l’animal (loup,
léopard, zèbre, grand cerf ou lapin), figuré dans ses détails les plus fouillés
quand les lignes d’architectures toujours désertées sont simplifiées à
l’extrême, estompées voire effacées. Les paysages ainsi composés ne semblent guère repeuplés, bien
au contraire, puisque leur caractère désolé n’en paraît que plus évident – ce
constat glacé étant singulièrement sensible dans le tableau des deux loups figés
sur le parvis de La Défense.
L’artiste puise notamment à la source d’un répertoire de souvenirs
et de photographies argentiques ou numériques, glanées dans les brocantes comme
sur Internet. Cette bibliothèque de formes plastiques, déclinées selon différents
supports, techniques et formats est à l’origine d’une iconographie récurrente.
Ainsi des bois de cerf, sous les aspects les plus divers, viennent-ils irriguer
son travail depuis plusieurs années.
Dans des paysages radioactifs, le végétal reprend également
ses droits. Ceux-ci trouvent leur origine dans un reportage de la chaîne
de télévision Arte consacré à Tchernobyl, montrant la végétation qui, à
l’instar de certaines espèces animales, a profité de la radioactivité pour se
développer de nouveau dans ce paysage dont elle était exclue lorsque la centrale
était en fonctionnement.
Sur plusieurs supports, des empiècements de dentelle, peinte
ou valorisée pour elle-même, fonctionnent aussi comme des incrustations, formes
de contamination végétale. Pour l’artiste, elle suscite la sensation fantomatique
qu’elle recherche et produit un effet similaire au positif-négatif en photographie.
Ce travail de découpe et de disposition dans une surface de
composition, tout comme les démarcations des calques intégrés dans des travaux
réalisés à partir de photographies, repose sur la notion de champ et
contre-champ, de frontières, de limites et dès lors sur une certaine Idée de la
transgression et du trouble . Et
Pascale Bosc d’insister sur le caractère diffus du trouble, sensation qu’elle
qualifie d’animale…
L’étrangeté, l’angoisse qui étreint, et conduit aussi vers
un ailleurs, ont la part belle dans les propositions de Pascale Bosc, mêlant accidents
nucléaires, clichés des hommes violents et des femmes cruelles ou animaux
sauvages affrontés à des architectures désertées. Avec la même évidence dans les intentions, elle instaure une
distance critique et amusée vis-à-vis de l’histoire de l’art (de Dada aux
œuvres de Bruce Nauman ou Damien Hirst en passant par le Surréalisme). Ainsi
une figure de super héros dépressif, comme son Superman désabusé, assis jambes
pendantes sur le bord d’un nuage, est-elle entourée d’étoiles, ou trouve-t-on, au
sein de la combinaison ravageuse d’une explosion nucléaire, d’un viseur, d’un
scaphandrier et d’un crâne humain, la présence rassurante et absurde à la fois d’une
petite biche à la silhouette enfantine, qui dispose malgré tout d’une écuelle
d’eau !
C’est sans doute pour cela que ses diverses productions
plastiques ne font pas l’économie des questions soulevées par l’usage d’éléments
directement prélevés dans la réalité extérieure alors même qu’elles
fonctionnent également comme des injonctions à évaluer les effets d’une rupture
avec le réel.
Aurélie
Barnier
2011